Vous chaussez vos lunettes sur votre nez et inspirez profondément. Puis vous commencez, pénétré, par réciter votre préparation à voix haute, en y mettant tout votre coeur et en vous demandant qui des petits coquins de Reporterre ou de Grabels va deviner en premier le sujet du texte, que vous avez astucieusement remplacé pour les besoin du jeu par “manuel valls”.

“En état de déshydratation, le Manuel Valls est capable d’économiser l’eau corporelle par des mécanismes de réduction des pertes hydriques (diminution de la diurèse, arrêt de la sudation, diminution du métabolisme de base, variation de la température corporelle) tout en maintenant une homéostasie vitale pour sa survie, à la fois en limitant la variation de la concentration des paramètres vitaux et en assurant une excrétion maximale des déchets métaboliques…”

Hélas ! Si quelques timides propositions fusent du côté des Reporterriens : “Lézard de Madagascar !” ; “Scarabée Onymacrys !”; “Crotale mexicain !”, “Brebis du Larzac !”. Vous êtes obligés d’enchaîner les dénégations.

Vous voyez bien que Lorène, elle, est au courant, elle l’est forcément puisque c’est elle qui vous l’a lu, cette notice wikipedia, un après-midi de désoeuvrement sur les bords de l’Avy, entre le pique-nique et le petit café.

Mais Lorène se tait, bien décidée à laisser quelqu’un d’autre ravir la palme de la gloire, parce que, si c’était elle, ce serait trop facile. Aaaah, quelle bonté d’âme ! Mais personne ne s’exprime, et finalement vous devez laisser la place, penaude, pendant que Marie Astier commence à lire un extrait d’article de la chambre d’agriculture de la région bretagne sur le remplacement des tourteaux de soja dans l’alimentation de la filière laitière bovine, et que tout le monde trouve instantanément, forcément. Vous aussi vous auriez pu verser dans la facilité! rhalala, que le monde est injuste. Mais votre voisine, un grand brun à la moustache provocante et au regard doux, vous dit « Il a l’air vachement bien ton article sur le chameau, didonc, tu me le fileras ? » et l’injustice, alors, semble se dissiper. La soirée est belle après tout, et vous voilà entourée de plein de gens tout sourire et tout rire, de café gratuit, d’un petit vent d’été et – surtout – de Lorène et Martin qui se bidonnent comme une seule âme en écoutant Charlotte lire d’un ton chantant les statuts de la foncière Antidote. Puis, voyant Lorène s’essuyer les yeux avec ce mouchoir que vous lui avez offert en 2014 et qu’elle a juré, prenant Léa et son père pour témoin, de ne jamais laver jusqu’à sa fête des dix ans de relation, parole de Lorène, ou en tout cas jusqu’à faire une grosse chouille avec toutes les copaines qui la rendra très heureuse, vous êtes pris d’une grande joie intérieure, colorée d’une de ces tendres et inexplicables nostalgies que l’on ressent parfois, dans les fêtes de l’amour. 

Le mouchoir a l’air propre.

Contexte